L'eau, un bien commun à partager, gérer et réglementer

 

Accueillie par Philippe Rion, maire de Castillon, la conférence organisée par l'ASPONA le 21 juin dernier en présence de Daniel Guiral, Directeur de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) à Montpellier a réuni une vingtaine de participants, dont certains habitants de la vallée de la Roya. L'exposé de M. Guiral, qui est aussi animateur de l'équipe Vulnérabilité des écosystèmes à l'échelle microbienne à l'Institut Méditerranéen de Biodiversité et d'Ecologie marine et continentale (IMBE), a permis de bien comprendre la position stratégique qu'occupe l'eau au sein de la vie des sociétés et notamment, dans le contexte actuel et planétaire d'une modification rapide des conditions climatiques et d'une intensification des usages et des demandes en une eau de bonne qualité chimique et bactériologique. Il a également cerné les différents mécanismes et leviers de la législation sur l'eau permettant de mieux protéger ce patrimoine commun.

L'eau douce est une ressource indispensable et rare sur la Terre. Si l'eau occupe 71 % de la surface de la Terre 97% de cette eau est salée. En outre 2% des eaux douces sont bloquées sous forme de glace, il ne reste ainsi qu'environ 1% d'eau sous forme liquide et exploitable. Ce stock limité d'eau douce est théoriquement renouvelable. C'est au sein des milieux naturels et lors de leur transfert au sein des sols et de leur substrat géologique que cette régénération peut s'opérer. L'eau est aussi une ressource inégalement répartie dans l'espace et le temps : les 2/3 de la population mondiale vivent dans des régions qui ne reçoivent que 1/4 des précipitations mondiales annuelles.

La coexistence de multiples usages, parfois antagonistes, s'inscrit au sein de continuums écologiques qui en définitive aboutissent, à des estuaires. Des lieux par lesquels les eaux et de l'ensemble de leurs polluants transitent préalablement à leurs déversements dans les mers ou les océans. On comprend ainsi pourquoi la gestion de l'eau doit être établie pour l'ensemble d'un bassin versant et de façon concertée. En particulier comme de nombreux cours d'eau sont frontaliers ou transnationaux, la gestion de l'eau nécessite une organisation et des coopérations aux niveaux régional, national et international.

Le cycle de l'eau est influencé par l'évolution de nos conditions de vie et par les changements climatiques globaux. En France, chaque habitant consomme en moyenne 150 litres d'eau potable par jour. En région Provence - Alpes - Côte d'Azur, cette consommation journalière par habitant s'établit à 239 litres d'eau. Elle dépasse 400 l aux Etats-Unis contre seulement 30 l en Afrique. Si le coût de la potabilisation est élevé (et d'autant plus que les eaux naturelles sont de mauvaise qualité) seulement 7 % de l'eau potable produite sert effectivement à la boisson (1%) et à des usages alimentaires.

Le 9 mai 2013, la concentration journalière de dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère a dépassé le seuil de 400 parties par millième (ppm) à la station de mesure de Mauna Loa (Hawaï), qui représente une bonne appréciation de la concentration moyenne en CO2 dans l'hémisphère nord. A partir des bulles d'air piégées dans la glace en Antarctique des concentrations à un tel niveau n'ont pas été observées depuis 800 000 ans et très probablement depuis le Pliocène (2,6 à 5,3 millions d'années). En conséquence on assiste à une augmentation des températures des océans et à une élévation du niveau des mers de l'ordre de 2 à 3 millimètres par an en raison de la dilatation thermique des eaux et secondairement de la fonte des glaciers et des calottes polaires Les augmentations des températures (de 19% en moyenne entre 1960 et 1990) et du nombre maximal de jours consécutifs sans pluie en été (passé de 20 à 25 jours), sont en déphasage avec les cycles auxquels la végétation s'est adaptée. On constate en outre des précipitations plus intenses mais qui concernent principalement la période hivernale au cours de la phase de repos de la végétation. Les cycles biologiques ne sont ainsi plus en phase avec les cycles climatiques. Dès à présent on constate par exemple que les périodes de vendange sont plus précoces (d'un mois environ). En outre beaucoup d'insectes pollinisateurs sont confrontés à ce « décalage végétal » correspondant à des floraisons plus précoces. De leur capacité d'adaptation et de resynchronisation dépendra ainsi nos productions fruitières futures.

Les lois sur l'eau de 1964, 1992 et 2006 établissent un ensemble de règles et d'outils en matière de lutte contre la pollution des eaux et pour leur régénération. Outre la création des comités de bassin et des agences de l'eau, la loi de 1964 introduit entre autres en France, le cadre du bassin versant pour la gestion des problèmes d'eau et la perception de redevances sur les prélèvements et les rejets. Elle établit ainsi les bases du principe de pollueur-payeur, selon lequel le pollueur doit supporter le coût des mesures de prévention et de lutte contre la pollution. C'est par ce système que la très grande majorité des communes a pu se doter de stations d'épuration des eaux et que nouvelles stations de captage et d'unité de potabilisation ont pu être financées.

La loi de 1992 complète le dispositif par l'établissement de nouveaux outils de planification : le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) à l'échelle d'un bassin hydrographique et, à l'échelle plus locale, le schéma d'aménagement et de gestion (SAGE). Les collectivités territoriales et leurs groupements sont habilités pour entreprendre l'étude, l'exécution et l'exploitation de tous travaux, ouvrages ou installations présentant un caractère d'intérêt général ou d'urgence dans le cadre du SDAGE. Les associations peuvent participer aux commissions locales de l'eau (CLE) dont les missions vont plus particulièrement concerner la conservation et le libre écoulement des eaux, la liaison entre qualité des eaux et santé publique. Parmi les autres domaines d'intervention mentionnés figurent aussi la protection et la restauration des écosystèmes aquatiques et des zones humides, ainsi que des formations boisées riveraines (article 31). Les associations régulièrement déclarées à la date de constations de fait de pollution des eaux ou de dégradation des écosystèmes aquatique peuvent exercer des droits en matière d'infraction aux dispositions de la loi dont la finalité vise à la protection, la mise en valeur et le développement de la ressource en eau et cela dans le respect des équilibres naturels (article 42).

La loi de 2006 - correspondant à la mise en œuvre par la France de la directive cadre européenne (DCE) 2000/60/CE du parlement et du conseil européen du 23 octobre 2000) - entend notamment promouvoir une meilleure adéquation entre ressources en eau et besoins. Elle reconnait en particulier, que la sauvegarde des ressources en eau potable passe impérativement par une meilleure prise en compte de la qualité et de l'intégrité des milieux aquatiques. Le retour au bon état des eaux auquel il faudrait parvenir en 2015 suppose cependant au préalable de pouvoir le définir. La stratégie retenue a été de recourir à des analyses comparatives par rapport à des états de référence. Le bon état d'une eau est atteint lorsque son état écologique et son état chimique sont au moins « bons ». Pour l'état écologique, l'évaluation des milieux aquatiques s'effectuera par rapport à une référence adaptée à chaque type de masse d'eau (rivières, lacs, eaux de barrage, eaux souterraines, eaux estuariennes et lagunaires, eaux côtières) et cela en prenant en compte la géologie, le relief et le climat. Cette subdivision du territoire national métropolitain a conduit à l'individualisation de 22 hydro-éco-régions. Au sein de chacune d'elle la caractérisation des communautés biologiques de zones reconnues comme non perturbées constitue un réseau de 650 stations pérennes ré-explorer périodiquement pour tenir compte de leur éventuelle transformation naturelle. En référence à ces stations, un total de de 1500 autres sites, répartis équitablement en fonction de la superficie de chacune des hydro-éco-régions, sont systématiquement et régulièrement étudiés. Les éléments biologiques pris en considération pour les eaux de surface sont le phytoplancton, les macrophytes, les algues et les invertébrés colonisant les sédiments et les poissons. Pour chacun d'eux sont considérés la composition en espèces, l'abondance et la biomasse. Pour les invertébrés et les poissons le nombre de taxons sensibles à la pollution est en outre renseigné. Enfin la structure en taille des communautés de poissons est décrite car il a été démontré que plus un milieu est perturbé plus les écophases juvéniles au sein du peuplement sont abondantes. .

Outre l'analyse dans le temps présent de l'état chimique et des écarts écologiques entre station de référence et station de suivi, les incidences qualitatives et quantitatives sur les masses d'eaux des évolutions que va connaître chaque secteur en termes d'urbanisme, de constructions routières et d'activités économiques doivent être prises en compte. D'une manière générale, toutes les zones dont les risques sont susceptibles de s'intensifier en fonction de l'évolution programmée de l'usage des terres doivent faire l'objet de préconisation en vue de ne pas annihiler les mesures prises en vue d'un retour au bon état écologique ou, au minimum, pour une conservation de l'état qualitatif et quantitatif préexistant. En particulier les eaux de ruissellement autoroutier posent des problèmes de pollution spécifique (sel de déneigement, huile de moteur, résidu de combustion) qui doivent être pris en compte dès la conception des ouvrages. Des aménagements de type mare temporaire ou bassin de rétention étanchéifié sont nécessaires pour éviter que ces polluants rejoignent les eaux de surface ou par infiltration les eaux de nappe. Par exemple des zones humides ou des bassins collinaires permettent - par la sédimentation et par la présence de plantes hydrophiles pendant au moins une partie de l'année - l'interception des hydrocarbures et des goudrons, des poussières et des autres polluants métalliques..

Si de considérables progrès ont été réalisés ne sont pas encore pris en compte un ensemble de polluants considérés comme émergents tels que, par exemple, les synergies de pesticides et de leurs produits de dégradation, des substances médicamenteuses, les phtalates, les composés organo-bromés, les dioxines, les micro-algues toxiques (Dynophycées et Cyanobactéries) et les nanoparticules. Dans ses conclusions et ses réponses apportées aux interrogations de l'assistance, le Professeur Guiral s'est montré encourageant : il reste beaucoup à faire mais, globalement, on assiste à une prise de conscience dans la population, les acteurs économiques et chez les élus. Un participant relève le caractère exceptionnel et singulier des vallons obscurs en bas de vallée, vestiges d'une société de l'hydraulique et s'interroge sur les moyens d'éradiquer les entreprises de travaux publics ou de réparation automobile qui les occupent. M. Guiral suggère de retrouver un intérêt économique à ces vallons (pisciculture, production d'agrumes et de légumes, …) et de montrer que la dégradation de ces lits de bassin correspondrait à un frein au développement de ces activités créatrices de richesse et d'emploi. Il insiste sur l'importance de pouvoir conserver les bras morts des cours d'eau, toutes ces petites zones humides ou zones tampon qui constituent des frayères à poissons et des amortisseurs de crue. Il n'est jamais trop tard pour agir et la médiatisation de certains dossiers, comme la pollution accidentelle au pyralène causée par le rejet en Roya d'anciens transformateurs électriques, peut aider à faire progresser les prises de conscience. Pour sa part, l'ASPONA a bien compris l'intérêt que peut présenter sa participation à la commission locale de l'eau et demandera donc à pouvoir y siéger.

La présentation sous forme schématique de l'exposé du Professeur Guiral est disponible sur le site de l'ASPONA.

Frédérique LORENZI